Abissa la danse de la paix et de la cohésion sociale

Grand-Bassam, cité historique et patrimoine mondial de l’UNESCO, a une fois de plus vibré au rythme de l’Abissa, la grande fête du peuple N’zima Kotoko, célébrée cette année du 5 au 19 octobre 2025 sous le thème : « L’Abissa, une danse de paix, de conjuration des calamités et de renforcement de la cohésion sociale. »
Deux semaines durant, la ville s’est transformée en un théâtre vivant où rites, chants et danses se mêlent à la spiritualitéet à la réflexion collective. Mais c’est la journée des chefs traditionnels, au cœur de la semaine du Gouazo, qui a le plus captivé les esprits. Ce jour consacré à la critique sociale, véritable tribune populaire, demeure l’un des moments les plus forts et les plus attendus de la fête.
Siedou et Gouazo : du silence sacré à la ferveur populaire

La célébration de l’Abissa s’organise en deux grandes étapes, chacune chargée d’une symbolique profonde. La première, appelée Siedou, ou semaine silencieuse, plonge la communauté dans une atmosphère de recueillement et d’introspection. Les tambours se taisent, les danses s’interrompent et les N’zima se consacrent à une purification intérieure, cherchent à se réconcilier avec leurs semblables et à obtenir la bénédiction des ancêtres.
Puis vient la deuxième semaine, le Gouazo, marquée par la renaissance, la joie et l’expression libre. Les tambours résonnent à nouveau, les tenues éclatent de couleurs et les rues s’animent au rythme des cortèges et des danses rituelles. C’est aussi le moment où la parole du peuple se libère, traduisant l’essence même du thème 2025 : une célébration de la paix retrouvée, de la cohésion et de la résilience collective.
La parole libérée sur la mythique place de l’Abissa

La journée des chefs traditionnels consacrée de la critique sociale, est une journée importante de la vie de communautaire. La gestion des chefs est mise sur la place publique. Ceux-ci font l’objet d’une critique sociale saine. Cette gestion est passée au peigne fin par le canal des chansonniers qui pour l’occasion sont exemptés de toute sanction.
Sous l’œil attentif des chefs coutumiers, notables et cadres de la communauté, plusieurs groupes de chansonniers se succèdent pour livrer, au nom du peuple, les critiques, les doléances et les observations recueillies tout au long de l’année.
La parole des chansonniers se déploie en langue N’zima, sous forme de proverbes, de paraboles et d’allusions poétiques, fidèles à la tradition orale akan. ils évoquent, souvent avec humour et ironie, les dysfonctionnements sociaux : abus d’autorité, corruption, querelles familiales, perte de valeurs ou excès de vanité.
Mais jamais la critique n’est frontale. Elle est codifiée et symbolique, relevant davantage de la pédagogie que de la dénonciation.
Une catharsis sociale et spirituelle
Dans cette joute verbale empreinte d’intelligence, la société se regarde, rit d’elle-même et se corrige.
Le public, massé autour de la place sacrée, écoute, rit, médite. Car à l’Abissa, la vérité purifie, elle ne divise pas. Cette écoute bienveillante, empreinte de respect mutuel, est la clé de la cohésion sociale.
Ainsi, l’Abissa dépasse le cadre d’une simple fête. Elle est à la fois un rituel de paix, une conjuration des maux et un mécanisme ancestral d’équilibre social.
Chaque année, à travers chants, danses et critiques, le peuple N’zima réaffirme sa foi en la justice, la vérité et l’unité, ce qui fait de l’Abissa un héritage vivant qui relie le passé, le présent et l’avenir.
Texte : Mano