Bambina, la motarde ivoirienne qui veut parcourir le monde à moto

Présidente du Majesty Groupe Motards, pionnière de la moto en Afrique de l’Ouest et véritable casseuse de codes, Bambina – de son vrai nom Bamba Édith Christine – ne fait rien comme tout le monde. Après avoir sillonné l’Afrique, cette passionnée de grosses cylindrées s’apprête à relever le plus fou de ses défis : un tour d’Europe à moto dès 2026. Un projet audacieux, porté par une femme au caractère bien trempé, à la foi inébranlable et à la détermination sans limite. Rencontre avec une guerrière du bitume, qui roule à vive allure vers l’histoire, pour l’honneur, l’égalité et la fierté ivoirienne!
Qui est Bambina ?
Je m’appelle Bamba Edith Christine, mais dans le milieu des motards, on m’appelle Bambina. Je suis la présidente, depuis la création jusqu’à ce jour, et la seule femme à la tête d’un club d’homme – du Majesty Group Motards, un club ivoirien fondé en 2021. Je suis également la 3 eme vice-présidente de la Fédération Nationale des Motos Clubs et Assimilés de Côte d’Ivoire. Je pratique la moto depuis plus de vingt (20) ans, une véritable passion qui m’a conduite à repousser mes limites. En Afrique de l’Ouest, je suis reconnue comme la première femme motarde à avoir parcouru le plus grand nombre de kilomètres en deux ans (30 000 km). C’est une fierté, mais aussi une responsabilité. En parallèle de ma passion, j’ai suivi des formations en France et je suis diplômée en sécurité privée des hautes personnalités. Cela reflète aussi mon engagement pour la rigueur et la discipline, deux valeurs essentielles dans mon parcours.
Comment est née votre passion pour la moto ?

C’est une passion qui remonte à mon plus jeune âge. J’ai grandi dans un monde où j’étais toujours en contact avec la moto. Petit à petit, cette proximité avec la moto a fait naître un véritable amour entre elle et moi. En plus de cela, j’ai toujours été attirée par le risque et le défi. J’aime me lancer là où l’on n’attend pas forcément les femmes, briser les barrières et prouver que nous aussi, nous pouvons exceller dans des domaines perçus comme masculins. J’ai commencé avec des motos bricolées, ce n’était pas évident au début. Mais avec de la persévérance et de la patience , j’ai pu réunir les moyens nécessaires pour m’offrir une vraie moto, un bon engin qui me permet aujourd’hui de vivre pleinement cette passion.
À vous entendre, on dirait que vous pratiquez la moto non pas par passion, mais comme une forme de revanche contre les hommes.
(Rires) Pas du tout ! Ce n’est pas une vengeance, mais plutôt un défi. Ce qui me motive, c’est le refus de voir la femme marginalisée dans notre société.
J’ai été la première femme en Côte d’Ivoire à occuper une poste de responsabilité dans le secteur de la_ sécurité privée, un domaine très masculin. À l’époque, les femmes n’étaient admissible dans ce secteur. Pourtant, à la fin de ma formation, j’ai été major de ma promotion. Cela montre bien que ce n’est pas une question de genre, mais de volonté. Mon combat, ce n’est pas contre les hommes, c’est pour prouver que la femme remplie de volonté peut dépasser ses limites. Ce qui compte vraiment, c’est la détermination. Je veux représenter l’Être humain dans toute sa force, sans qu’on lui impose de limites liées à son sexe.
Pourquoi avoir choisi spécifiquement la moto ? N’est-ce pas un domaine difficile pour une femme ?

Je suis passionnée par tout ce qui a un moteur. J’aime les engins, qu’il s’agisse de voitures, de motos ou même de quads. Mais la moto a une place particulière dans mon cœur. C’est vrai que c’est une passion coûteuse, qui demande beaucoup d’investissement — en temps, en énergie et en ressources. Mais quand on aime, on ne compte pas. J’aurais pu m’orienter vers d’autres disciplines sportives, mais la moto, c’est mon choix de cœur. Je préfère y aller étape par étape, sans brûler les étapes. Quand tu es vraiment passionnée, tu fais face aux difficultés avec le sourire. Il ne m’a fallu que cinq jours de cours pour maîtriser les techniques de conduite. J’ai appris vite, parce que la motivation était là. Dès ce moment, j’ai commencé mes “rodages” : Abidjan–Yamoussoukro, puis Korhogo, le Mali, le Burkina Faso, le Nigeria, etc. Chaque trajet m’a renforcée et a confirmé que j’étais exactement là où je devais être.
Avez-vous des sponsors qui vous accompagnent ?
J’ai eu un partenaire à un moment donné. Mais aujourd’hui, je finance toute seule mes initiatives. C’est un choix que j’assume, même si ce n’est pas toujours évident. Malheureusement, beaucoup de gens cherchent simplement à exploiter ton image, sans réellement soutenir ta vision ou tes projets. Je recherche des partenaires qui partagent mes valeurs ou mon engagement.
Quelles sont les principales difficultés que vous rencontrez ?
Je suis tellement concentrée sur la moto que je n’ai pas toujours le réflexe de communiquer. À vrai dire, je ne roule pas pour me faire voir. Je vis cette passion depuis plus de vingt ans, dans la discrétion. Ce n’est que récemment que j’ai commencé à prendre des photos de mes voyages, à les partager sur les réseaux sociaux, parce que c’est devenu une nécessité aujourd’hui pour attirer l’attention des sponsors. Je suis aussi consciente que ce que je m’apprête à entreprendre n’est pas une promenade de santé. C’est un véritable périple, avec tous les risques que cela comporte : agressions, conflits dans certaines zones, intempéries… Mais j’ai la foi. Je crois en Dieu et j’ai confié ce voyage à la Vierge Marie. Je profite donc de cette occasion pour lancer un appel aux sponsors : j’ai besoin de soutien, notamment de : les visas ou laissr-passer, une assistance technique pour les entretiens de ma moto, du carburant, l’hébergement, des équipements pour les vidéos et photos.
Avant de me lancer dans le tour du monde, je vais d’abord commencer par faire le tour de la Côte d’Ivoire. Comme on dit, « la charité bien ordonnée commence par soi-même ». Ce projet, nous l’avons appelé “Le Tour Ivoire MGM” : un périple de 3 500 kilomètres à travers le pays, en passant par différentes frontières, pour mobiliser les Ivoiriens autour de cette vision. Le départ est prévu pour juillet prochain, et le voyage durera environ deux semaines. Il faut aussi savoir que j’ai déjà fait le tour de l’Afrique, mais comme je ne communiquais pas à l’époque, cette performance est passée inaperçue. Cette fois, nous allons faire les choses autrement : montrer notre pays, faire la promotion de la Côte d’Ivoire, et recevoir les bénédictions du peuple ivoirien avant de partir à la conquête du monde. D’ailleurs, je serai à Fresco en août 2025 pour la fête de génération, dans le cadre de ce projet.
En tant que femme, comment réussissez-vous à vous faire une place dans un univers aussi masculin ?
Ce n’est pas facile, soyons honnêtes. Dans certaines cultures, voir une femme leader reste inconcevable. Mais moi, je ne laisse pas de temps de réflexion aux hommes : je m’impose avec subtilité et diplomatie ! (rires). Si tu leur laisses le temps, ils vont commencer à conspirer ! Ce n’est pas de la dictature, non. C’est juste que, dans ce genre de milieu, tu dois t’imposer si tu veux exister. Et moi, je le fais par le travail. Dans tous les environnements dominés par les hommes où je suis passée, j’ai dû faire mes preuves. C’est grâce à cette rigueur que j’ai pu accéder à des postes de responsabilité, notamment dans une société de sécurité privée ici en Côte d’Ivoire où je gérais plus de 600 personnes. Je suis très exigeante dans le travail, je ne plaisante pas avec ça. Mais attention (rires), cette rigueur n’altère en rien mes relations avec mes collaborateurs. J’ai compris qu’avec les hommes, il faut savoir mettre un peu de “chicote” (crainte) au début, puis ajouter une touche de douceur ensuite. C’est un équilibre à trouver, et ça fonctionne plutôt bien pour moi !
Parlez-nous de votre aventure à moto entre Abidjan et le Maroc.

C’était en 2024, à l’occasion d’un festival annuel organisé au Maroc, le ROAD TO MARRAKECH. J’y ai été invitée par le président OTHMAN promoteur du festival. Pour y arriver, j’ai mis environ deux semaines de route, au guidon de ma moto. Depuis la Côte d’Ivoire, j’ai fait une escale au Burkina Faso mon pays par adoption, où j’étais également conviée à un autre événement : les 48 heures du West Burkina Bikers. Ce fut un réel plaisir de participer à ces rencontres entre passionnés. Avant de continuer ma parcours en traversant le Mali, le Sénégal, la Mauritanie pour rejoindre le Maroc. Pour le retour je suis passée par la Mauritanie, le Sénégal, la Gambie, la Guinée Conakry pour arriver en Côte d’Ivoire pour une distance totale de 14.000 kilomètres à bord d’une MT 09 de chez Yamaha. Voyager à moto, c’est une expérience unique. Tu découvres des villes, des paysages magnifiques, mais surtout tu fais des rencontres marquantes. Il y a un véritable partage d’expériences humaines et de cultures tout au long du trajet. Et puis, voir une femme se lancer dans ce genre d’aventure, ça inspire, ça étonne, ça fait du bien à ceux qui croisent ta route. C’est aussi une façon de faire la promotion de la Côte d’Ivoire. Chaque pays traversé est une opportunité de représenter dignement mon pays, de porter haut ses couleurs et de casser les stéréotypes.
Vous vous apprêtez à partir à la conquête du monde. En quoi consiste cette aventure folle ?
Comme je vous l’ai dit, les défis et les risques me motivent. Cette aventure, prévue pour juin 2026, est un défi personnel que je me suis lancé : faire le tour du monde à moto.
C’est une façon pour moi de repousser mes limites, de sortir une fois de plus de ma zone de confort. Ce n’est pas juste un voyage, c’est un projet de vie, un message que je veux transmettre à toutes les femmes : tout est possible avec de la volonté. Je partirai de la Côte d’Ivoire avec ma GS 1250 de chez BMW, en passant par le Burkina Faso, le Mali, le Sénégal, la Mauritanie, le Maroc, l’Espagne, le Portugal, la France, la Belgique, le Pays Bas, l’Allemagne. Pour le chemin retour, je ferai l’Autriche, la Suisse, l’Italie, la France, l’Espagne, le Maroc, le Sénégal, le Mali, le Burkina Faso avant de regagner la Côte d’Ivoire. Soit un parcours total de 25.000 kilomètres. Un tel projet demande évidemment beaucoup de préparation et de démarches administratives. Je dois, entre autres, m’affilier à une association en Europe, ce qui facilitera le passage des frontières et la logistique tout au long du parcours. C’est un travail de fond, mais je suis déterminée.
Comment gérez-vous votre santé ?
Je fais beaucoup de sport. Avant de commencer un projet de voyage, je m’impose au moins un mois d’entraînement sous régime alimentaire en salle de sport, suivi de séances de natation pour me préparer physiquement. Mais la préparation ne s’arrête pas là : je me prépare aussi moralement, financièrement et même spirituellement. Faire de la moto, c’est un sport complet qui fait travailler tout le corps. Quand tu mets le pied à terre, que tu passes les vitesses, que tu tournes le guidon avec les bras, ou que tu regardes à gauche et à droite en conduisant avec le poids des équipements… C’est du sport ! Il faut être en forme pour éviter les blessures et les maladies. Le sport est donc la clé de ma santé, et je m’y adonne sans relâche.
Avez-vous une anecdote à partager avec nous ?
Oui, j’en ai une qui m’a particulièrement marquée. Un jour, j’ai décidé de partir au Maroc au guidon d’une Yamaha Tracer 900, une moto pas forcément conçue pour ce type de défi selon certains. Dès le départ, beaucoup de gens ont douté de moi.
Certains disaient que cette moto ne tiendrait pas la route pour un tel parcours. D’autres allaient encore plus loin, remettant en cause mes capacités, allant jusqu’à croire que je transportais ma moto dans un véhicule pour faciliter le trajet ! Pour leur prouver le contraire, j’ai commencé à filmer mes trajets en direct, à partager mes étapes en live, pour qu’on me voie réellement sur le terrain, sur ma moto, en train de relever le défi. Au final, c’était une belle leçon : les préjugés tombent toujours face à la détermination et à la preuve par l’action.
Quels sont vos rapports avec les motards des autres pays que vous visitez ?

Les motards à l’international sont très solidaires. À chaque voyage, je prends le soin d’informer la communauté des motards des pays que je traverse. Et à chaque fois, ils viennent m’attendre à la frontière. À partir de là, on entre ensemble dans leur pays, et ils prennent vraiment soin de moi. Ils sont d’une générosité qui touche profondément. Ensuite, ils me raccompagnent jusqu’à la prochaine frontière, où d’autres motards prennent le relais. Et ça continue ainsi jusqu’à ma destination finale. C’est une véritable chaîne de solidarité, une communauté soudée et bienveillante, et franchement, ça fait du bien, surtout quand on est une femme seule sur la route, loin de chez soi. Je me souviens par exemple d’un passage au Sénégal, où un grand mécanicien moto du nom’de Malick qui a pris en charge tout l’entretien de ma moto, et est même allé jusqu’à m’offrir des pneus neufs. Ce sont des gestes qui marquent et renforcent l’esprit de fraternité entre motards.
Un dernier mot ?
Je lance un appel à tous les Ivoiriens : ce défi, ce tour du monde à moto, ce n’est pas seulement, le mien c’est un défi collectif, une aventure que je vous invite à vous approprier. Mobilisez-vous à mes côtés, portons ensemble les couleurs de la Côte d’Ivoire sur la scène internationale. Je m’adresse également aux sponsors : la moto est un sport passionnant, captivant, qui attire les regards et peut être un puissant vecteur de messages positifs. Aidez-nous à faire connaître cette discipline, à la rendre plus visible, à lui donner la place qu’elle mérite. Enfin, merci à Abidjan Planet pour cette belle lucarne que vous m’offrez. C’est grâce à des médias comme vous que notre voix portera plus loin.
Interview réalisée par Abidjan Planet