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Dr Balo CISSÉ : « Toute femme est une potentielle porteuse de cancer du sein »

À l’occasion d’Octobre Rose, mois dédié à la sensibilisation et au dépistage du cancer du sein, Dr Balo Cissé, médecin oncologue au service de cancérologie du CHU de Treichville, revient dans cette interview sur les facteurs de risque, les signes qui doivent alerter, l’importance du dépistage précoce et les idées reçues qui freinent encore de nombreuses femmes en Côte d’Ivoire.

Qu’est-ce que le cancer du sein ?

Le cancer dans sa globalité est une multiplication anarchique de cellules anormales dans un organe ou un tissu. Dans le cas du sein, ce sont des cellules anormales, cancéreuses qui apparaissent et se développent au niveau de la glande mammaire.

Quels sont les facteurs de risque ?

Plusieurs facteurs de risque sont identifiés dont un facteur génétique. Certaines personnes naissent avec des gènes défaillants qui favorisent l’apparition du cancer du sein. Ces anomalies peuvent être transmises au sein des familles, ce qui explique que dans certaines lignées, on observe une tendance à développer certains cancers.

À côté de cette prédisposition héréditaire, on distingue des facteurs hormonaux et environnementaux. Une puberté précoce ou une ménopause tardive entraîne une exposition prolongée aux hormones féminines, en particulier aux œstrogènes, ce qui peut augmenter le risque. À l’inverse, les grossesses précoces ou multiples semblent exercer un effet protecteur, car pendant la grossesse, la production d’œstrogènes est interrompue pour laisser place à l’hormone de la grossesse.

On observe, par exemple, que certains groupes de femmes, notamment les sœurs religieuses, ont une tendance plus marquée à développer un cancer du sein. Cela s’explique par l’absence, au cours de leur vie génitale, de l’interruption naturelle de la production d’œstrogènes. En effet, lors d’une grossesse, la sécrétion d’œstrogènes s’interrompt temporairement pour laisser place aux hormones de la grossesse.

Chez les femmes qui n’ont pas d’enfants, cette stimulation continue par les œstrogènes reste présente tout au long de la vie, ce qui constitue un facteur favorisant du cancer du sein.

À cela s’ajoutent d’autres facteurs externes tels que le tabagisme, le stress, le manque d’activité physique ou encore l’obésité, qui sont également considérés comme des éléments de risque favorisant l’apparition de cette maladie.

L’allaitement protège-t-il réellement du cancer du sein ?

L’allaitement serait un facteur protecteur contre le cancer du sein. Il est important de préciser qu’il s’agit bien de l’allaitement maternel, et non du fait de sucer le sein, comme on l’entend parfois dans certains discours.

Lorsqu’une femme allaite, son organisme produit une hormone appelée prolactine. Cette hormone favorise la montée de lait, mais elle a aussi pour effet de retarder le retour des menstruations après l’accouchement. Ainsi, les femmes qui allaitent exclusivement leur bébé peuvent rester plusieurs mois, parfois jusqu’à un an, sans règles.

Ce phénomène s’explique par le fait que la prolactine, lorsqu’elle est produite en grande quantité, agit comme un contraceptif naturel et réduit la sécrétion des œstrogènes. Or, une exposition prolongée aux œstrogènes est un facteur de risque du cancer du sein. C’est ce qui explique que l’allaitement protège mais un bon allaitement régulier.

Peut-on prévenir le cancer du sein ?

Pour être franche, on ne peut pas éviter le cancer du sein. On peut plutôt le dépister précocement. Pourquoi ne peut-on pas l’éviter ? Parce que certains facteurs, comme les facteurs génétiques, échappent totalement à notre contrôle. Certaines personnes naissent avec des anomalies dans leurs gènes qui les prédisposent au cancer du sein.

D’autres éléments, comme le stress, peuvent être partiellement évitables, mais ne le sont pas toujours. De même, laproduction prolongée d’œstrogènes, liée à une puberté précoce ou à une ménopause tardive, n’est pas de notre fait. 

En réalité, toute femme est une potentielle porteuse de cancer du sein, ce qui rend ce cancer particulièrement préoccupant. Sa gravité tient surtout au diagnostic tardif, comme c’est le cas pour beaucoup d’autres cancers. Heureusement, le cancer du sein est aujourd’hui facilement dépistable. Un dépistage précoce permet d’augmenter considérablement les chances de survie et d’obtenir un meilleur pronostic à long terme.

À partir de quel âge faut-il se faire dépister ?

Dans la littérature, l’âge recommandé pour commencer le dépistage du cancer du sein est fixé à 50 ans. Mais en observant notre réalité et l’écosystème des patientes en Côte d’Ivoire, nous avons constaté que les cancers apparaissent plus tôt. Nous avons donc abaissé cet âge à 40 ans. À partir de 40 ans, toute femme devrait effectuer au moins une première mammographieOn enseigne aux femmes à pratiquer l’autopalpation. Des cas peuvent survenir plus tôt ; ma plus jeune patiente avait 23 ans. Même si cela reste rare, cela peut arriver.

Le dépistage de masse, commence à 40 ans. Mais dans certaines situations, on peut procéder à un dépistage individuelplus précoce. Par exemple, si une famille présente plusieurs cas de cancer du sein ou d’autres cancers comme le cancer de la prostate, on peut commencer la surveillance dès 35 ans, avec palpation et, si possible, mammographie. Ces cas sont traités au cas par cas. Avant 40 ans, la règle essentielle est que chaque femme sache pratiquer l’autopalpation afin de détecter toute masse ou anomalie, car c’est souvent le premier signe d’un cancer du sein.

Quels sont les premiers signes qui doivent alerter ?

Quand on parle de cancer, il s’agit de la multiplication de cellules anormales. Ces cellules sont toutes petites, se multiplient de manière anarchique et ne meurent jamais, contrairement aux cellules normales. Dans notre corps, un équilibre existe normalement : chaque jour, un groupe de cellules naît et un autre meurt, ce qui nous permet de rester en bonne santé. La particularité des cellules cancéreuses est qu’elles deviennent immortelles et se répliquent sans contrôle.

Au fil du temps, cette cellule anormale se multiplie jusqu’à devenir perceptible, et c’est alors que l’on peut ressentir une boule dans le sein, généralement indolore. C’est pour cela que l’autopalpation est si importante : tant qu’on ne palpe pas, on ne sent rien. Entre l’apparition de la première cellule anormale et la détection de cette boule, il peut s’écouler une dizaine d’années.

Lorsque la maladie évolue, les cellules cancéreuses peuvent quitter le tissu d’origine et se propager. Le premier relais est souvent les ganglions dans les aisselles, car les cellules cherchent à s’étendre. Localement, la maladie peut aussi se manifester par une plaie au niveau du sein, faisant parfois penser à un furoncle qui ne guérit pas, ou par un aspect de peau d’orange, avec ces petits trous caractéristiques. Parfois, les signes sont atypiques.

À un stade plus avancé, le cancer peut atteindre d’autres organes. Une patiente peut consulter pour une toux persistante, et une radiographie peut révéler des atteintes pulmonaires. On peut avoir par exemple des atteintes au niveau du foie qui vont se manifester par des ictères ou bien des douleurs osseuses qui peuvent nous faire révéler la maladie. 

Pourquoi les femmes consultent-elles souvent tardivement ?

Il y a d’abord les croyances. Ici en Afrique, beaucoup de personnes accordent plus de confiance à la médecine traditionnelle qu’à la médecine moderne. Ainsi, une femme qui découvre une boule dans son sein ou une plaie qui ne cicatrise pas peut penser qu’il s’agit d’un sort ou d’une malédiction. Elle ne consulte pas rapidement et se tourne vers des thérapies alternatives, ce qui contribue à retarder le diagnostic.

Il y a aussi l’ignorance, la négligence et le manque de moyens financiers. Parfois, une femme détecte cette boule très tôt, mais faute de ressources, elle ne consulte pas immédiatement. Et lorsqu’elle finit par venir à l’hôpital, l’état de la maladie est souvent avancé, ce qui limite considérablement les options de traitement.

Quelles sont les idées reçues les plus fréquentes ?

Beaucoup pensent que le cancer tue forcément et préfèrent ne pas se faire dépister. D’autres redoutent que la chimiothérapie les tue, ou s’en remettent à des guérisseurs traditionnels. Certaines refusent la chirurgie par peur de perdre leur féminité, et beaucoup vivent la maladie comme une honte, ce qui les pousse à se cacher.

Le cancer du sein peut-il guérir ?

Oui, à condition qu’il soit dépisté tôt. Toutefois, les médecins parlent plus volontiers de rémission que de guérison, car même après un traitement réussi, la patiente reste sous surveillance afin de détecter une éventuelle récidive. Certaines peuvent vivre de longues années en rémission, jusqu’à la fin de leur vie, sans rechute.

Quelle hygiène de vie adopter en période de rémission ?

Il est recommandé d’adopter une alimentation équilibrée, pauvre en gras, en sucre et en sel, et riche en légumes. Les protéines doivent être privilégiées, en mettant l’accent sur le poisson et la viande blanche plutôt que sur la viande rouge. La pratique d’une activité physique régulière aide à réduire le stress, à prévenir l’obésité et à renforcer l’immunité, ce qui améliore la résistance du corps face à la maladie. Éviter le tabac, limiter la consommation d’alcool et réduire l’exposition aux radiations inutiles font aussi partie des précautions à prendre.

Quels sont les traitements disponibles ?

Le traitement dépend du stade de la maladie. Il peut s’agir d’une chirurgie, partielle ou totale, visant à retirer le sein, ou d’une chimiothérapie qui utilise des médicaments cytotoxiques pour détruire les cellules cancéreuses. Le cancer du sein a aussi bénéficié d’avancées importantes avec l’hormonothérapie, qui bloque l’action des hormones sur certaines tumeurs, et les thérapies ciblées, qui attaquent spécifiquement les propriétés de la cellule cancéreuse. Enfin, la radiothérapie, qui utilise des rayons X, est souvent pratiquée après la chirurgie pour réduire le risque de récidive.

Les hommes peuvent-ils être touchés ?

Oui, car même si leurs seins sont peu développés, ils possèdent la glande mammaire. Le cancer se manifeste de la même manière, par une boule dure dans le sein. Chez l’homme, la tumeur est souvent détectée plus tôt, car la glande est plate et toute anomalie devient rapidement visible. Les cas restent rares cependant car en six ans, seuls deux cas ont été diagnostiqués.

Quels sont les facteurs de risque ?

Chez l’homme, les facteurs de risque ne sont pas forcément les mêmes que chez la femme. Contrairement aux femmes, les hommes n’ont pas de facteurs hormonaux liés aux œstrogènes, qui jouent un rôle chez la femme. Pour eux, les risques sont donc plutôt liés à des facteurs génétiques ou environnementaux, comme le stress ou éventuellement l’obésité.

Cependant, mes patients masculins n’étaient pas nécessairement obèses. On n’a pas toujours retrouvé la cause

Octobre Rose a-t-il son sens ?

Oui, absolument, Octobre Rose a vraiment son sens. Vous m’avez demandé pourquoi les femmes viennent souvent à des stades tardifs. Une des raisons est le manque de moyens. Pendant Octobre Rose, de nombreuses campagnes proposent des consultations gratuites, parfois même des examens comme la mammographie à moindre coût. Ces campagnes permettent de toucher des femmes dont la maladie reste cachée à la maison, souvent par stigmatisation, et qui évitent de se rendre à l’hôpital.

Lors de ces actions, les femmes se fondent dans la masse et viennent se faire consulter. Chez elles, on ne parle pas forcément de dépistage, mais de consultation. Et cela a tout son sens, car un cancer dépisté tôt peut être bien pris en charge et bien soigné. Même pour une femme qui pense ne présenter aucun signe, un diagnostic précoce permet de la rattraper à temps.

Octobre Rose est également important grâce à sa couverture médiatique, qui touche un grand nombre de femmes. Elle permet de sensibiliser sur le cancer du sein, de montrer comment le dépister tôt et, dans certains cas, de prévenir la maladie.

Y a-t-il de l’engouement ?

Dans mes premières années au CHU de Treichville, nous recevions relativement peu de femmes, peut-être 200 à 300. Aujourd’hui, au terme des campagnes, on enregistre plus de  2 000 femmes, parfois uniquement pour le dépistage. Même celles qui n’ont pas l’âge recommandé viennent, et souvent, une mère vient accompagnée de ses filles, afin qu’elles découvrent la maladie et l’importance du dépistage.

Ces 2 000 consultations se déroulent généralement sur environ 15 jours du mois d’octobre. Et cela concerne uniquement cet hôpital. L’engouement est donc réel et croissant, ce qui montre l’impact des campagnes de sensibilisation et l’intérêt des femmes pour leur santé.

Quels conseils donneriez-vous ?

Toute femme, dès la période d’activité génitale, doit savoir pratiquer l’autopalpation doit savoir pratiquer l’autopalpation des seins. Elle doit le faire au moins une fois par mois. Ce sont les premières règles. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous sensibilisons aussi lors des visites médicales et dans les écoles. Toute boule ou tout changement dans le sein doit alerter. Il ne faut jamais négliger un signe qui apparaît et il est essentiel de consulter rapidement dans un centre médical pour un dépistage précoce.

Il est également important d’adopter une bonne hygiène de vie, en limitant le stress et en prenant soin de sa santé globale. À partir de 40 ans, il est recommandé de réaliser au moins une mammographie, à renouveler tous les deux ans si le résultat est normal.

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