Interview : Viviane Kouamé, une passion au service du cacao ivoirien
Lauréate du Prix d’Excellence 2024 dans la catégorie du Meilleur Artisan, Viviane KOUAME incarne l’excellence ivoirienne dans le domaine de la transformation du cacao. Passionnée par l’or brun, elle valorise les fèves locales et porte haut les couleurs du « made in Côte d’Ivoire » à travers CHOCOVI, la marque qu’elle a créée en 2021.
Présentez-vous.
Je suis l’ivoirienne Viviane KOUAME, Maître chocolatier. Mes créations sont faites suivant le processus « Tree to bar » qui implique une parfaite maîtrise de toute la chaine de valeur des champs jusqu’au produit fini. Je dois mon succès aux formations que j’ai faites auprès de grands noms du domaine de la chocolaterie en Alsace, en Italie en France. La particularité de mes créations réside en l’adaptation des process appris à nos produits locaux.
En quoi consiste ce processus ?
Le processus « Tree to Bar » est plus répandu en Amérique latine dont l’objectif est de suivre la fève depuis sa plantation jusqu’au produit fini, en tenant compte de sa génétique et des process post-récoltes (fermentation et séchage). Ainsi, le chocolatier cultive lui-même son cacao. À ce jour seulement trois types de chocolatiers que sont les artisans classiques qui se procurent les blocs de chocolat auprès de multinationales, les couverturiers qui fabriquent le chocolat de couvertures destiné aux artisans en collaboration avec les multinationales et les bean- to-bar qui eux, représentent 3% des chocolatiers dans le monde. Le phénomène bean-to-bar ou des fèves au chocolat est né aux USA dans les années 2000.
Comment avez-vous rencontré le cacao ?
Le cacao fait partie de mon héritage familial car, mon grand-père était planteur de cacao. J’ai donc grandi au rythme des champs. À 17 ans, après le décès de ma mère, ma vie a basculé au point où, les plantations de Yamoussoukro étaient un refuge où je passais mes journées à humer le parfum délicat de la végétation.
Quand avez-vous ressenti le besoin de devenir chocolatier ?
De mes flâneries dans les champs, j’ai mûri l’idée des possibilités infinies du cacao. En 2012, je me suis retrouvée au
Burkina Faso où, je me suis vraiment investie dans les métiers de la cuisine et la pâtisserie. Mon responsable pâtissier d’alors ayant compris ma passion pour le Chocolat m’a conseillé de retourner à Abidjan et d’intégrer la prestigieuse pâtisserie Abidjanaise pour apprendre. Un nouveau déclic se produit. Mon Chef, un français DAVID TANNEVART m’a également encouragé à approfondir mes acquis et me voilà dans l’avion pour l’Europe où j’ai suivi des formations en chocolaterie, en confiserie et en pâtisserie (France) et en Italie en 2021 pour maîtriser la transformation du cacao depuis la fève jusqu’au produit fini.
Quel a été votre plus grand défi en tant qu’artisan chocolatier ?
Bien que la Côte d’Ivoire soit le premier producteur mondial du Cacao, je n’ai vu nulle part durant mon séjour de formation en Europe des tablettes de chocolats estampillées « Fèves de Côte d’Ivoire ». À la vérité, je ressentais à chaque fois une grande frustration. À mon retour sur les bords de la lagune Ebrié, j’ai entrepris de créer une marque typiquement ivoirienne, qui valorise le made in Côte d’Ivoire avec des produits locaux. Je me souviens encore que certains proches me conseillaient de développer un label « fève d’Afrique » mais, je m’y suis toujours opposée. Je suis africaine certes mais ivoirienne dans l’âme.
Avec la mention « fève de Côte d’Ivoire », j’ai postulé à différents concours internationaux et en 2023, j’ai remporté en France, le premier « Gourmet d’Or » de l’Afrique de l’ouest, le Gourmet d’argent et le Gourmet de bronze ainsi qu’un Oscar pour la transformation du cacao. La certification FAIRTRADE en tant que manufacturier a duré près de deux ans au bout desquelles, CHOCOVI est devenu la première manufacture certifiée en Afrique. Toutes ces victoires visent à œuvrer pour la valorisation du made in Côte d’Ivoire. Le challenge aujourd’hui est de faire en sorte que l’ivoirien consomme son proprecacao sous toutes les formes possibles.
Le prix est-il le principal obstacle à la consommation du chocolat ?
Je ne le pense pas. Ceux qui évoquent les prix du chocolat pour ne pas en consommer sont prêts à dépenser plus pour s’arracher le chocolat importé. Il serait bien que les ivoiriens apprennent à faire confiance aux artisans locaux tout en s’appropriant le cacao cultivé sur nos terres. Nos populations, nos institutions, nos sociétés commerciales pourraient encourager les transformateurs en les mettant dans la liste de fournisseurs pour les cadeaux d’entreprises, inclure une part du portefeuille dans leurs dépenses quotidiennes. Saviez-vous que les Kroumen offrent du cola et du piment aux étrangers ? pourquoi ne pas en faire autant avec des chocolats produits ici ? ce serait un atout culturel supplémentaire vu que le cacao fait également partie des richesses de notre pays.
Qu’est-ce qui vous distingue de vos concurrents ?
Mon plus grand atout c’est mon process de transformation « tree-to-bar » qui me permet d’avoir une parfaite maitrise de toute la chaine de valeur, des arômes spéciaux pour mes fèves et une qualité optimale de mon chocolat. Mes produits sont uniques, j’ai développé un chocolat sans sucre pour les diabétiques ainsi que des saveurs typiquement ivoiriennes avec des intrants qu’on retrouve dans nos champs comme le piment, le gingembre, le poivre, la mangue, le cajou et même l’attiéké. Par ailleurs, je ne rajoute aucun conservateur, ni de lécithine de soja encore moins de colorants.
Est-il facile d’innover dans ce domaine ?
Quand on aime, les inspirations s’inscrivent naturellement dans l’innovation constante. En 2022, j’ai créé une collection dénommée « Tour d’Ivoire » qui m’a valu une reconnaissance à l’internationale. Cette collection met en lumière le patrimoine culturel et touristique ivoirien car, chacune des onze saveurs développées porte en couverture un symbole du patrimoine ivoirien ainsi qu’un descriptif dédié. Mon combat est de pouvoir associer le chocolat à un parcours touristique de la Côte d’Ivoire.
Qui vous fournit le cacao que vous transformez ?
J’ai la chance de travailler avec des planteurs de Méagui que nous avons intégré dans notre processus de transformation. Ils ont un cahier de charge bien défini qui nous garantit à la fois des arômes particuliers et des fèves d’excellence. Par ailleurs, dans le village de Gohouo (Sinfra), j’ai mis sur pied un projet cofinancé par le Fonds Mondial pour l’Environnement (FEM) pour redonner vie à un ancien verger. Sur le terrain, je bénéficie de la collaboration des agents des eaux et forêts qui m’accompagnent pour l’agroforesterie. Ce projet me tient particulièrement à cœur car il vise à faire revivre l’ancienne boucle du cacao en redonnant vie aux vergers vieillissants. Tous mes partenaires agricoles bénéficient de formations et de conseil pour un cacao durable.
Quelles sont les variétés que vous proposez ?
J’ai plus d’une trentaine de variétés de chocolat référencées et fabriquées par mes soins dans mon showroom. Je peux vous citer mes coups de cœurs que sont ma variété épicée qui attise toujours la curiosité des amoureux du chocolat avec le piment, le gingembre et le poivre d’Ahouati (Village de Tiassalé). Mes saveurs exotiques de chocolat avec le coco grillé, la noix de cajou, les cacahuètes, l’orange confite, le café, les éclats de cacao. Mes créations de chocolats câlines avec le riz soufflé, le lait, au chocolat grué. Je mets un point d’honneur à ne pas utiliser des essences de saveurs dans mon chocolat car à chaque bouchée on croque véritablement le fruit rajouté. Sans oublier bien sûr le chocolat à l’attiéké caramélisé dont la formulation m’a pris plus d’un an. Je valorise également d’autres artisans locaux car ils sont les fournisseurs de tous mes intrants.
Où sont distribués vos produits ?
Les produits de CHOCOVI sont disponibles dans les épiceries fines. Nous avons choisi de limiter notre présence dans les rayons des supermarchés pour des raisons qui nous sont propres. Nous faisons beaucoup de personnalisation pour les cadeaux d’entreprise.
Être femme a-t-il été un obstacle pour vous dans ce métier ?
En général, être femme entrepreneure est toujours un défi. On doit prouver à tous les niveaux, redoubler d’ardeur tout en conciliant vie privée, professionnelle et convaincre que notre passion est avant tout un métier et non un caprice.
Parlez- nous du prix d’excellence que vous avez reçu.
J’ai simplement reçu un appel me disant que j’ai été retenue comme lauréate. Sur le coup j’ai cru avoir mal entendu (rire). Ma joie était grande car ce prix couronne tant d’années de sacrifices. Être reconnue par son pays ce n’est pas rien. J’ai juste répondu merci à la personne au bout du fil et j’en ai informé mon équipe.
Que représente ce prix pour vous ?
Ce prix à une grande valeur émotionnelle. Le recevoir en tant qu’entrepreneur est une reconnaissance inestimable sur le plan national raison pour laquelle j’ai fait le choix de le recevoir en tenue de cuisine.
Comment envisagez-vous l’avenir avec ce prix ?
Je prends conscience aujourd’hui que les efforts que j’ai fournis pour la promotion du chocolat made in Côte d’Ivoire à travers le monde est reconnue. Cela m’encourage à redoubler d’ardeur pour faire montre du savoir local à travers le monde. Pour l’édition 2024, j’ai l’honneur de participer au défilé de mode du Salon de Paris ce sera l’occasion pour moi de hisser encore plus haut le drapeau ivoirien.
Quels conseils donneriez-vous aux jeunes qui veulent se lancer dans ce métier ?
Croire en ses rêves, se donner les moyens d’atteindre ses objectifs, mettre au cœur de son quotidien la formation. Mais avant tout, croire en soi. Rien n’est facile et plus le chemin est tumultueux, plus les petites victoires résonnent comme une trompette.
Abidjan Planet