Knitted Knockers Côte d’Ivoire , une solidarité tricotée pour les survivantes du cancer du sein
Knitted Knockers Côte d’Ivoire se consacre depuis 2021 à la distribution gratuite de prothèses mammaires en laine aux femmes ayant subi une mastectomie. À l’occasion d’Octobre Rose, nous avons rencontré sa présidente Jacqueline Apollos, qui nous partage l’impact de cette initiative sur les survivantes du cancer du sein et les défis qu’elles relèvent au quotidien.
Que signifie «Knitted Knockers» ?
C’est en anglais et cela signifie «nichons tricotés».
Depuis quand l’ONG existe-t-elle ?
En Côte d’Ivoire, elle est présente depuis novembre 2021. Cependant, il faut savoir qu’elle a été fondée aux États-Unis en 2011 par Barbara DEMOREST, une survivante du cancer du sein. Barbara a eu l’idée de crocheter des prothèses mammaires et de les offrir gratuitement. Aujourd’hui, l’ONG est implantée dans plus de 40 pays.
Comment est née l’idée d’implanter cette ONG à Abidjan ?
Tout part de mon histoire personnelle. En juin 2017, j’ai été diagnostiquée d’un cancer du sein. J’ai suivi un traitement jusqu’en décembre de la même année. Depuis lors, je suis en rémission. Ce traitement comprenait une chimiothérapie, puis une ablation du sein en raison de la présence de deux nodules dans mon sein. Après cette intervention, j’ai dû faire face à une nouvelle réalité : comment expliquer à mes filles que je vivrais désormais avec un seul sein ? En quittant l’hôpital, j’ai pris un foulard que j’ai façonné en forme de sein et que j’ai mis dans mon soutien-gorge. À la maison, je me suis questionnée sur la manière dont les autres femmes vivant avec un seul sein s’habillaient. Celles qui en ont les moyens s’offrent des prothèses, tandis que les autres rembourrent simplement leur soutien-gorge. Dans ma quête de solutions, une sage-femme m’a contactée et m’a donné le numéro d’une vendeuse de prothèses en tissu venant de France. J’en ai acheté. Plus tard, lors de mes recherches, je suis tombée sur une association en France appelée Knitted Knockers, qui crochète des prothèses et les offre gratuitement.
Je les ai contactés et j’ai fait une demande. Lorsque j’ai reçu les prothèses, je les ai présentées à mon gynécologue, qui a apprécié leur qualité. Il m’a alors demandé s’ilétait possible d’en recevoir davantage pour d’autres patientes. Mon groupe d’amies et moi avons ainsi reçu 40 prothèses. Cependant, les membres de l’association française nous ont dit qu’elles ne pourraient pas nous en fournir continuellement en raison de la forte demande, et elles m’ont conseillé d’apprendre à crocheter moi-même. Elles m’ont alors formée, en me précisant les critères : utiliser des fils hypoallergéniques, respecter une certaine taille et un certain poids pour les prothèses. Elles m’ont aussi indiqué où commander la laine nécessaire. Par la suite, j’ai signé un contrat et c’est ainsi que Knitted Knockers a démarré ses activités en Côte d’Ivoire.
Saviez-vous crocheter ?
Non. J’en ai plutôt parlé à une amie qui elle, sait tricoter. Elle a tout de suite manifesté de l’intérêt quant au projet. Depuis lors, elle fait partie des bénévoles de l’association et a en charge le tricotage.
Quelles sont les actions que vous menez ?
Notre mission principale est de crocheter des prothèses mammaires et de les offrir gratuitement aux femmes ayant subi une ablation du sein. Depuis 2021, nous avons distribué plus de 3000 prothèses dans tout le pays. Nous en avons également distribué dans des pays comme le Mali, le Sénégal, le Congo-Brazzaville, le Cameroun, le Bénin et le Burkina Faso.
Combien de prothèses crochetez-vous quotidiennement ?
Nous réussissons à en crocheter entre deux et quatre par jour. Cependant, cette capacité de production est en baisse, notamment à cause du décès de certaines de nos tricoteuses. La plupart de nos bénévoles sont des femmes touchées par le cancer. Aujourd’hui, il ne nous reste que quatre tricoteuses. Nous menons également des actions de sensibilisation à travers nos témoignages personnels. En outre, nous mettons en relation les malades avec les médecins et assurons un suivi psychologique. Il arrive aussi que nous apportions un soutien financier à certaines patientes.
L’ONG est-elle soutenue par l’État ?
Pour l’instant, toutes nos actions sont financées sur fonds propres, grâce aux cotisations des bénévoles et à certains partenaires. Nous recevons aussi le soutien du Programme National de Lutte contre le Cancer du Sein (PNLCS), du CNRAO, de la COLCC et de l’ONG Vie et Santé.
Quels sont vos projets pour Octobre Rose ?
L’année dernière, nous étions à Divo, où nous avons dépisté 400 femmes. Il y a même eu un dîner de gala pour apporter de la joie aux femmes malades. Nous avons également mené des actions de sensibilisation dans des lieux de culte. Cependant, il est important
de préciser que nous n’attendons pas Octobre Rose pour agir ; nous distribuons des prothèses tous les jours, en fonction de nos disponibilités. Nous allons distribuer des prothèses et organiser le premier Salon de soins d’accompagnement. Ce salon, prévu les 11 et 12 octobre, proposera des conseils aux femmes par des spécialistes, notamment un psychologue, un sexologue, un nutritionniste, ainsi qu’un expert en gestion du stress.
Pensez-vous qu’il y a de l’engouement autour de la sensibilisation ?
Les associations multiplient les actions de sensibilisation. Toutefois, il reste encore beaucoup à faire, notamment en milieu rural. Il faut renforcer la communication, adapter les messages et utiliser les langues locales pour toucher le plus grand nombre. Il est essentiel de briser les tabous et les considérations mystiques autour de la maladie, et rappeler aux femmes qu’il s’agit d’une maladie comme une autre.
Qu’aimeriez-vous voir changer dans la lutte contre le cancer du sein ?
Il est nécessaire de réévaluer le coût du dépistage et des examens préalables aux traitements. Je souhaite que davantage de ressources soient investies dans la prévention plutôt que dans les cas désespérés. Il faut que l’État aide les associations à organiser des dépistages, car c’est le premier traitement.
Quel conseil donneriez-vous aux femmes qui hésitent à se faire dépister ?
Le cancer du sein est réel et il tue. Il est important de bien connaître son corps et de pratiquer régulièrement l’autopalpation. On peut guérir du cancer s’il est détecté à un stade précoce.
Avez-vous un appel à lancer ?
Nous avons besoin de témoignages de femmes touchées par la maladie.
Surtout, nous avons besoin de bénévoles pour nous aider à tricoter les prothèses. Enfin, nous sollicitons des dons en tous genres pour continuer notre mission.