Réchauffement climatique, Abou Bamba explique tout
Rencontre avec Abou Bamba, Coordonateur du programme Abidjan Legacy
Abou Bamba, Coordonnateur Abidjan Legacy Program, un outil d’accélération du développement durable et de transformations agricoles, partage son expertise sur les défis environnementaux et socio-économiques auxquels fait face le pays, ainsi que les actions entreprises pour y répondre. Il aborde notamment les enjeux de la dégradation des sols, des changements climatiques et de la valorisation de nos écosystèmes lagunaires.
Présentez-vous à nos lecteurs…
Je suis Abou Bamba, coordonnateur du Abidjan Legacy Program et passionné des questions de développement durable et de protection de l’environnement.
Avec près de 30 ans d’expérience dans les domaines de l’environnement et du développement durable, j’ai eu le privilège de travailler au sein de plusieurs institutions internationales, telles que la Banque Africaine de Développement, la Banque Mondiale, les Nations Unies et l’Union Mondiale pour la Conservation de la Nature. Mon parcours professionnel m’a conduit à œuvrer principalement en Côte d’Ivoire, aux Usa, en Suisse, au Ghana, couvrant environ 85 à 90 % des pays africains sur des questions environnementales et de développement durable. À l’origine économiste, ma spécialisation s’est rapidement orientée vers l’environnement et le développement.
En quoi consiste le programme Abidjan Legacy ?
Le programme Abidjan Legacy est une réponse du gouvernement ivoirien à la dégradation des écosystèmes forestiers et terrestres, accentuée ces dernières décennies. Lancé après la COP 15 sur la désertification en mai 2022, le programme vise à lutter contre la déforestation et la dégradation des sols, tout en améliorant l’efficacité de l’agriculture pour atteindre la souveraineté alimentaire.
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Il comprend également des mesures visant à rendre les chaînes de valeurs agricoles plus durables, en réponse aux réglementations de l’Union européenne. Enfin, le programme vise à identifier des chaînes de valeurs résilientes aux changements climatiques. Abidjan Legacy est un programme de développement socio-économique intégré visant à réduire la pauvreté, partager la croissance économique et créer des emplois pour les jeunes et les femmes en zone rurale, en s’appuyant sur les écosystèmes naturels et l’agriculture, piliers historiques du développement ivoirien.
Est-ce qu’avec l’effet des changements climatiques, l’on peut prétendre à une autosuffisance alimentaire en Afrique, principalement en Côte d’Ivoire ?
Les changements climatiques posent un défi majeur à l’autosuffisance alimentaire en Côte d’Ivoire. En 2022, le pays a importé pour près de 2000 plusieurs milliards de francs CFA de produits alimentaires (avec en tête le riz et le poisson), et cette tendance s’est accentuée en 2023.
Pour atteindre l’autosuffisance alimentaire, 85 % de ce que nous consommons devra être produit localement, mais les changements climatiques menacent cet objectif.
Les températures en augmentation, avec des prévisions allant jusqu’à près de 40°C dans certaines régions, ainsi que les perturbations des saisons et des précipitations, affectent la production agricole. Il faut savoir que l’agriculture est à 95% pluviale en Côte d’Ivoire, ce qui rend nos systèmes alimentaires tributaires de précipitations de plus en plus aléatoires du fait des changements climatiques. Les projections indiquent une baisse des précipitations de 9 % dans certaines régions, ce qui peut entraîner des inondations, ainsi qu’une hausse de 9 % dans d’autres, posant des défis majeurs pour une agriculture durable d’ici 2050.
Face à ces défis, il est crucial de mettre en place des stratégies d’adaptation et d’atténuation efficaces pour garantir la sécurité alimentaire en Côte d’Ivoire d’ici 2030.
Les changements climatiques sont-ils la cause de l’infertilité des sols ?
La baisse de fertilité des sols en Côte d’Ivoire s’explique par plusieurs facteurs. La déforestation, qui a réduit de plus de 92 % notre couvert forestier depuis les indépendances, est l’une des causes principales. Cette déforestation a été motivée par l’extension des cultures de café et de cacao, ainsi que par une agriculture extensive qui a conduit à consacrer plus de 60 % du territoire ivoirien à l’agriculture.
D’autres pratiques agricoles non durables ont également contribué à la baisse de fertilité des sols. L’agriculture sur brûlis a été une pratique courante pendant longtemps. L’utilisation inappropriée des engrais chimiques a également dégradé la fertilité des sols. De plus, la pratique de la monoculture, pendant de longues années a appauvri les sols.
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Les changements climatiques ont également joué un rôle, tout comme l’orpaillage clandestin, qui pollue les sols avec des produits chimiques et extrêmement dangereux. Cette activité, en plus de ses impacts sociaux, a des conséquences environnementales graves, réduisant la fertilité des sols et polluant les cours d’eau.
Quelles sont les alternatives pour retrouver la fertilité des sols ?
Pour restaurer la fertilité des sols, il existe plusieurs alternatives. Tout d’abord, il est important de pratiquer la rotation des cultures afin de ne pas épuiser le sol avec une seule spéculation sur de nombreuses années. Ensuite, l’agroforesterie est une méthode efficace, car la présence d’arbres autour des cultures favorise la disponibilité de la matière organique et des éléments nutritifs nécessaires à la croissance des plantes.
Plutôt que d’utiliser des engrais chimiques qui peuvent être néfastes pour les sols et l’environnement, il est recommandé d’utiliser des engrais organiques ou bio, qui ont un impact plus faible voire positif sur la qualité des sols.
La science et la technologie ont beaucoup évolué, grâce à l’irrigation nous parvenons à des rendements nettement supérieurs et ce, sur toute l’année, quelque soit les saisons. De plus, la fertigation qui allie irrigation et fertilisation, nous permet non seulement de booster la production et améliorer les rendements agricoles mais aussi de redonner aux sols leur fertilité.
Ne pensez-vous pas qu’une volonté politique devrait suivre ?
C’est déjà le cas avec le renforcement du Ministère d’Etat, Ministère de l’Agriculture et de l’adoption du Abidjan Legacy Program. Les études sont en cours pour voir dans quelles mesures on pourrait subventionner l’accès aux kits d’irrigation de petites surfaces, comme cela se fait au Bénin, au Maroc et en Tanzanie. Ces subventions pourraient être accompagnées de mesures visant à réduire les taxes et les droits de douane sur des équipements d’irrigation importés, tout en favorisant l’industrie locale de production de ces équipements. Actuellement, le processus d’accès à ces projets est souvent complexe et peu accessible aux agriculteurs analphabètes. Il est crucial d’améliorer ces processus pour permettre à davantage d’agriculteurs d’en bénéficier. En outre, il est essentiel d’augmenter le financement des projets agricoles par les banques commerciales, actuellement seulement à hauteur de 5 %, pour stimuler la production agricole en Côte d’Ivoire.
L’humanité peut-elle espérer régler un jour la question des changements climatiques ?
C’est un défi complexe qui nécessite une évaluation approfondie de son impact. Chaque année, lors de la conférence des parties, les experts mondiaux se réunissent pour mesurer les progrès et identifier les actions nécessaires. En Côte d’Ivoire, des actions concrètes sont déjà en cours, telles que le programme Abidjan Legacy qui représente plus de 10000 milliards de francs CFA pour lutter contre les changements climatiques.
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Le gouvernement ivoirien prend également des mesures, comme l’adoption d’un budget sensible au climat et la transition vers des véhicules électriques. Bien que les changements environnementaux prennent du temps, des progrès sont constatés, mais il est essentiel d’accélérer les actions pour répondre aux défis climatiques actuels.
Il y a une grosse vague de chaleur qui frappe le pays en ce moment. La Sodexam a parlé d’un pic de 41°C de janvier à Mars. Faut-il s’inquiéter pour les mois à venir ?
Oui, il faut s’en inquiéter. Il est vrai que la Sodexam parle d’un pic de 41°C entre janvier et mars, mais il est prévu que cette vague de chaleur se poursuive jusqu’à la fin de l’année. Cette situation est due au phénomène climatique El Niño, qui a des répercussions mondiales et nécessite une action collective pour y faire face. Bien que la Côte d’Ivoire ne soit pas directement responsable de ces émissions de gaz à effet de serre, elle en subit les effets de plein fouet. Le rapport de la Banque mondiale sur le climat et le développement nous informe par exemple que 1,3 milliards d’ivoiriens basculeront dans la pauvreté d’ici 2050 si les tendances climatiques observées en ce moment se poursuivent. Le même indique aussi que le pays pourrait perdre 13% de sa croissance économique.
Est-ce qu’après ces vagues de chaleur, il faut s’attendre à de fortes précipitations ?
Après les vagues de chaleur, il n’est pas nécessairement vrai qu’on doive s’attendre à de fortes précipitations. Même si cette croyance est répandue, elle n’a pas de fondement scientifique. En réalité, si des pluies surviennent après une vague de chaleur, elles peuvent parfois être excessives et causer des inondations, ce qui peut être néfaste pour les infrastructures, la production agricole et la sécurité des personnes.
Quelle est la conduite à tenir face à ces changements climatiques ?
Face aux changements climatiques, il est essentiel d’adopter une approche globale pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Cela implique de faire la transition des énergies renouvelables et de limiter l’utilisation de gaz nocifs pour la couche d’ozone, tels que le fréon, le halon… À titre individuel, il est important de se protéger contre les effets du soleil en restant à l’ombre et en s’hydratant. Il est également bon de préserver les arbres pour limiter l’augmentation des températures.
Quel impact peuvent avoir ces changements climatiques sur la santé ?
Les changements climatiques ont un impact significatif sur la santé. Ils peuvent entraîner des problèmes respiratoires et augmenter le risque de cancers, même chez les non-fumeurs. En Côte d’Ivoire, les températures élevées et les émissions de gaz des véhicules et des industries, notamment les cimenteries, contribuent à la détérioration de la qualité de l’air et peuvent causer des problèmes pulmonaires graves.
Est-ce qu’on peut sauver notre lagune ?
Oui, il est possible de sauver notre lagune. Des études ont été réalisées en 2015, présentées au chef de l’État, et incluaient des mesures pour protéger la lagune. Environ 20 à 30 % de la lagune est fortement polluée, mais des solutions existent.
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Il faut exploiter la lagune de manière durable pour créer des emplois, ce qui nécessite une volonté politique et un changement de comportement des Ivoiriens. Les écosystèmes lagunaires ivoiriens représentent une immense opportunité de développement économique pour la ville d’Abidjan comme c’est le cas à Paris avec la Seine, en suisse avec le lac Léman et à Londres avec la Thamise.
Comment envisagez-vous la valorisation de la lagune ivoirienne pour contribuer au développement économique d’Abidjan, tout en préservant son environnement ?
L’écosystème lagunaire ivoirien, s’étendant sur 4000 km, il est unique au monde et potentiellement très productif. Il faut le considérer comme un trésor national et y développer des projets qui feront de lui une attraction touristique majeure, avec des marinas, des hôtels de luxe, etc. Cependant, il est faudrait interdire les activités de remblayage illégal qui se font et récupérer les espaces illégalement gagnés sur la lagune Ebrié.
Vos mots de fin…
Merci pour cette interview. Mon message aux Ivoiriens est de considérer la protection de l’environnement pas seulement comme une contrainte mais surtout comme une opportunité pour accéder à la richesse et au bien-être. En préservant notre environnement, nous créons de la richesse pour les générations actuelles et futures.
Texte : Mano