Moulay Driss Zerhoun
Perchée sur le plateau de Saïs, entre le Moyen-Atlas au sud et les premiers contreforts du Rif au nord, la ville sacrée de Moulay Driss Zerhoun protège le tombeau de Driss 1er. Driss était un arabe qui fut chassé de ses terres par les Abbassides (une dynastie arabe musulmane) suite à une cinglante défaite lors de la bataille de Fakh près de La Mecque. Dans son exil forcé il fut accueilli par une tribu berbère. Il s’établit sur ce promontoire et il fonda un petit village d’où il pouvait éventuellement voir arriver de loin des troupes hostiles. Nous sommes en 788, et pour construire son refuge, Driss n’hésita pas à se servir des pierres de cette cité en ruine toute proche : Volubilis. De nos jours, le tombeau de Driss est un lieu de pèlerinage car il est considéré comme le fondateur du premier royaume indépendant du califat en terre maghrébine. Ainsi, ce hameau est devenu au fil des siècles une petite bourgade prospère d’environ 12 000 habitants. Accessoirement pour les païens que nous sommes, c’est aussi l’unique endroit à partir duquel il sera possible d’aller visiter Volubilis.
Avertissement
Avant d’envisager cette visite, il convient d’être prévenu, ce périple vers les ruines antiques provoque généralement des troubles dont on maîtrise mal la portée. De nombreux voyageurs qui ont eu le malheur de s’y rendre, rapportent que sur place ils ont plongé dans le passé, qu’ils se sont immergés dans l’histoire du monde. En d’autres mots, qu’ils ont voyagé dans le temps, un bond de plus de 2 000 ans en arrière. Le site tout entier a-t’il été bâti sur une faille spatio-temporelle ? Les petites boules sombre qui se fument et qu’on trouve en abondance dans la région produisent-elles des effets secondaires insoupçonnés ? A ce jour nul ne le sait, mais il suffit de suivre du regard les fous ou les inconscients qui osent s’approcher de l’endroit pour constater les premières manifestations de cet étrange phénomène qui semble donner vie à ces vestiges romains.
Par exemple, suivez du regard la silhouette de cet homme qui marche au loin, il semble simplement vêtu d’une étoffe grossière. Ses sandales soulèvent une poussière diffuse mais son pas est assuré. Se dirige-t’il vers ces vieilles pierres, est-il perdu, où va-t’il, quel est son nom ? Il a forcément un nom. Yuba, Yuba Wis Sin, c’est son nom. Il rentre chez lui. Yuba n’est pas Arabe, il a été élevé à Rome mais il est de retour sur sa terre natale, la terre des Imazighen (les hommes libres), les Berbères comme on les appelle.
L’esclave qui devint roi
Sous ses allures d’homme du peuple, cet homme est en réalité le fils ainé du dernier roi de Numidie, Amezwaru. Yuba n’avait que 5 ans quand son père fut tué par les troupes de César. Envoyé à Rome comme otage, il est recueilli par Calpurnia la dernière épouse de César qui ne pouvait avoir d’enfant. Il vécut alors une enfance dorée, et fut élevé au rang de prince. Adulte il prit part à la campagne d’Orient contre Cléopatre et Marc Antoine, où il se distingua par sa fidélité et son adresse. En récompense il reçut une partie des États de Maurétanie, un vaste territoire qui s’étendait de l’Atlantique à l’ouest, jusqu’à l’Algérie… Ça vous en bouche un coin ?
En contemplant son domaine sec et aride, Yuba réalisa que le fond de son coeur demeurait profondément Berbère. Il aimait ces collines entièrement offertes au véritable roi de cette région, le soleil. Pourquoi s’enticha t’il de cet endroit éloigné de la mer, éloigné de tout ? Volubilis à cette époque n’était qu’une petite bourgade anonyme protégée par de vagues remparts témoins d’un passé guerrier résistant tant bien que mal à l’emprise Maure. Qu’importe, c’est là que son coeur l’avait mené, c’est ici qu’il bâtira son royaume.
Decumanus Maximus, la voie royale.
Malgré ses origines, Yuba avait été élevé comme un romain. Sa culture profonde et son érudition n’avaient donc rien à voir avec ses racines. La conception architecturale et l’administration de son royaume étaient à l’image de ce qu’il avait toujours connu. Ainsi, il fit édifier une vaste enceinte de plus de 3 000 mètres, percée de 9 portes, protégée par 40 tours communiquant entre elles par un chemin de ronde. En franchissant la porte de Tanger qu’il a nommée ainsi en l’honneur de Tingis, sa première épouse une libyenne, Yuba peut distinguer au fond l’Arc de Triomphe qu’il a fait ériger en souvenir de l’empire romain. L’arc surmonté d’un deuxième étage est coiffé par une statue de bronze à l’effigie de l’empereur conduisant un char à six chevaux. De chaque côté on distingue les deux niches qui abritent chacune une statue de divinité dont les pieds trempent dans un bassin alimenté par un jet d’eau.
Cette grande artère qui traverse Volubilis se nomme Decumanus Maximus, entièrement pavée de dalles en pierre, cette voie recouvre un collecteur d’eaux usées ainsi qu’un aqueduc enterré sur la plus grande partie de son parcours. Captant les eaux de la source du Jdbell située à plus de 2 kilomètres, l’aqueduc est connecté à un réseau de canalisations qui permet d’alimenter les maisons particulières, les thermes, les fontaines et les latrines publiques tandis que les eaux usées sont entraînées par des collecteurs vers l’oued Khoumane en contrebas de la ville.
Arrivé à mi-chemin de l’avenue, Yuba hésite un instant, sur sa droite se trouve sa demeure. Un petit palais orné de colonnades dont la façade principale donne sur le Decumanus. A l’intérieur, les salles de réception, les bains et les habitations sont organisées autour d’un bassin intérieur. Le sol est entièrement recouvert de mosaïques à l’effigie de divinités ou de scènes de la vie quotidienne et plus particulièrement, ses appartements sont entièrement décorés à la gloire d’Hercule, ce héros, ce demi-Dieu dont les récits ont bercé son enfance.
Il tourne sa tête et regarde de part et d’autre l’artère principale qui regroupe les plus belles demeures de la cité. Seuls les nobles et les riches patriciens vivent là. Chaque demeure couvre environ 1 000m2 et est toujours richement décorée de mosaïques. Ici les Néréides, là des lions, des panthères, et d’autres fauves. Plus loin, c’est Dionysos qui est honoré ou encore de façon plus poétique les quatre saisons symbolisées par leurs attributs : l’hiver des portraits où les femmes ornent leurs cheveux de branches d’arbres dépouillées, le printemps où les fleurs se mêlent aux tresses, pour l’automne les chevelures sont couronnées de grappes de raisin, et l’été naturellement voit les épis de blé se confondre avec les mèches blondes.
Mais Yuba décide de poursuivre sa promenade. Il se dirige sur sa gauche vers les quartiers de l’ouest. Il traverse le forum entouré de temples et de commerces puis il descend vers la ville basse.
Decumanus Secundus, la voie du peuple.
Progressivement les sons, confus jusqu’alors, se matérialisent et il entend clairement le bruit du marteau qui malaxe le métal, le ciseau qui taille la pierre et les chiens qui aboient. En entrant dans cette petite ruelle, le boulanger le reconnait et le salue respectueusement, puis il retourne à ses grosses meules en pierre et à son pétrin. Cette année les Dieux ont été généreux et la récolte de blé importante. C’est tant mieux car pour nourrir les 20 000 habitants de cette ville, environ 40 quintaux de blés sont nécessaires chaque jour.
En descendant plus au sud Yuba remarque qu’il y a affluence aux thermes du Capitole. Quatre thermes publiques sont offertes à la plèbe. A l’intérieur, chacun peut y pratiquer des exercices physiques dans des salles dédiées. Puis, le baigneur se déshabille dans un vestiaire et se rend dans une salle tiède pour s’accoutumer. Quand il se sent prêt, il rejoint une salle chaude pour y transpirer abondamment. Ensuite, dans la salle suivante il peut s’immerger dans une piscine d’eau chaude et enfin terminer ses ablutions par un bain d’eau froide. Les thermes sont aussi un lieu de rencontre où l’on peut se faire masser, s’y faire épiler ou encore s’y restaurer dans les nombreuses salles annexes. Mais il n’entrera pas, aujourd’hui Yuba est d’humeur vagabonde et préfère continuer sa promenade. En longeant les fontaines qui filtrent l’eau de l’aqueduc grâce à leur bassin de décantation, il aperçoit une huilerie.
Sous son impulsion, les oliveraies se sont développées dans la région. Elles couvrent désormais tous les versants des montagnes voisines. Les paysans déchargent les olives sur l’aire de manutention où elles sont broyées dans des meules. Puis la pâte est placée dans des paniers en jonc que l’on empile les uns sur les autres avant de les écraser. L’huile se met alors à suinter lentement le long des rainures creusées dans la pierre puis elle est recueillie dans des jarres. Utilisée pour l’alimentation, l’éclairage des maisons ou encore pour fabriquer des remèdes, les femmes s’en enduisaient le corps et les cheveux pour sentir bon et avoir la peau plus soyeuse. Exportée en grande partie vers Rome, c’est cette huile précieuse qui a fait la fortune de Volubilis.
Le long chemin
Ça fait à peine trois heures qu’il marche dans les rues de Volubilis et pourtant Yuba a la sensation d’avoir traversé les siècles. Il doit rentrer à présent, retourner d’où il vient. Pour retrouver son chemin il ne risque pas de se tromper, il lui suffit de suivre ses pas dans la poussière, de longer toutes ces vieilles pierres et disparaître dans l’horizon.
SID Camelot